IO

Le mythe raconte que Io fut traquée et violée par Zeus. Qu’il la transforma en vache, la laissant mutique dans son malheur. Qu’un jour, elle réussit à s’enfuir et regagner forme humaine. Mais ce que le mythe ne raconte pas, c’est la lutte que mène Io lorsqu’elle est enfermée dans le silence. C’est dans ce moment, celui où dire devient un acte vital, que nous plongeons.

Dans cette création résolument féministe, nous cherchons les voi(x)es. Partant de la libération de la parole en cas d’agression, nos recherches nous ont conduites à travailler sur la silenciation, et à nous concentrer par la suite sur le silence dans le cadre familial. Au fur et à mesure, il nous est apparu clairement que le nœud que nous devions traiter était celui du silence autour de l’inceste.
Comment, suite à un inceste, percer ce silence mortifère qui nous entoure ? Exposer ses rouages ? Trouver la porte de sortie ? Les deux comédiennes cherchent sans relâche le chemin vers la parole : qu’est-ce qui se joue à l’intérieur ? Qu’est-ce qui vient empêcher, taire, dévoyer les mots ? Quels sont les mécanismes à l’œuvre dans la silenciation et comment s’incarnent-ils dans nos pensées ?

Cette création s’inscrit dans un mouvement large et sociétal de lutte contre l’inceste. Nous faisons le choix de concentrer nos recherches sur ce qui est à l’œuvre en amont de la parole. Nous mettons en lumière les processus qui se mettent en place avant que les faits soient nommés, dénoncés, avant la réaction de la famille ou un éventuel parcours judiciaire.

Nous voulons montrer et faire sentir le obstacles à la parole. Nous traitons de différents mécanismes tels que l’amnésie, le clivage, le déni. Et nous explorons les étapes-clés dans le processus qui conduit à nommer : se souvenir, poser des mots, être suivi·e par une personne qui sait accueillir la parole, être cru·e, avoir l’espace d’exprimer ses émotions…

Nous créons ce spectacle afin qu’on ne dise plus « pourquoi ne rien avoir dit avant ? » ou « tu avais l’air heureuse pourtant » ou « tu es sûre ? ce n’est pas ton imagination ? ».
Nous adressons notre spectacle à tous les anciens enfants qui n’ont pas pu dire, qui ont dit, disent, ou diront peut-être. A ces survivant.e.s, à leurs proches, et à toute personne qui vit dans ce système qui est le nôtre. Afin que tous.tes, nous tentions de comprendre ensemble les enjeux liés à l’inceste et au silence.

Au plateau : deux comédiennes et du fil. Nous avons décidé de révéler le lien au silence, à la mémoire, à la complexité des relations intrafamiliales, à travers le fil. La pelotte se déroule, des trajectoires se tissent, des points se relient et progressivement le fil déborde.
Enquêtrices, les comédiennes fouillent dans les souvenirs, dans les rêves, dans les états de corps, pour comprendre, nommer, avancer vers les bons mots. Mais plus on avance plus la toile se densifie. A chaque fois qu’une nouvelle tentative de parler émerge, de nouveaux liens se forment. Le passé se révèle tentaculaire, étouffant. Jusqu’à emprisonner les corps. Il ne s’agit plus seulement de se rappeler, mais aussi de lutter contre ce qui se révèle.

« IO » est un univers, une succession d’actes, des ruptures, des moments de poésie, de combat, d’épuisement, de rire. Le récit n’est pas linéaire. Il est à l’image du chemin de Io, haletant, tâtonnant, semé d’embûches et de virages, embarqué dans différents registres.
C’est un dialogue intérieur révélé par les deux comédiennes, qui incarnent les différentes parties de Io et de ses souvenirs. Il s’agit pour nous de montrer les processus à l’œuvre dans l’intime, quand le dire devient une nécessité : qu’est-ce qui se joue dans la rupture d’amnésie, la dissociation, la confrontation à la famille, le cauchemar ?

Io, un duo théâtral sur l’urgence d’ouvrir grand la bouche et les oreilles.

➝  Noémie Halajko
Sa formation s’est construite autour de ses intérêts pour les sciences humaines et l’art vivant. Après des études de philosophie, elle se forme à l’éducation alternative, à la psychologie de l’enfant et devient directrice de structure d’éducation populaire. Elle y anime des groupes de parole à visée philosophique et politique, coordonne des équipes d’animation pour essayer de faire vivre les valeurs de l’éducation populaire.
Elle suit ensuite un programme d’accompagnement pour développer son projet professionnel en spectacle vivant. Durant une année, elle suit et accompagne différents professionnels : Sarah Dollé, chapelière, Laurence Groyer, costumière, Sylvie Cousin, programmatrice pour Arlésie, le Nids des Elefanto, Oasis culturelle.

Elle suit de nombreux stages qui l’initient au théâtre, à l’art du geste, au mouvement dansé, à la voix parlée et chantée et à la marionnette. En 2022 et 2023, elle approfondit sa recherche artistique, en intégrant les formations « L’acteur au présent » par le théâtre de l’Acte à Toulouse, et « L’acteur conscient » de la compagnie Un homme s’énerve. Depuis, elle travaille avec la compagnie T’as un truc entre les dents, en tant que directrice artistique. Elle signe, avec Tamsin Malbrand, leur première création commune, « io ». Parallèlement, elle rejoint l’équipe de Un homme s’énerve, en tant que comédienne, pour leur spectacle « Etreins-toi », création 2025.

➝ Tamsin Malbrand
Fille aînée + Lion (ambition) ascendant Vierge (abnégation) + entourage intello à tendance perfectionniste = son chemin est tout tracé. En 2015 elle obtient son M2 en droit et le concours d’avocat, et travaille dans la lutte contre les crimes perpétrés par les multinationales françaises à l’étranger (association Sherpa). -> Un incroyable sans faute, une ascension exemplaire, un début de carrière admirable ! Jusqu’au jour où tout cela vint s’écraser contre la force du destin, telle une mouche sur une baie vitrée.

En 2017 elle décide de privilégier ses projets de dessin et de photographie et de se consacrer entièrement à ce domaine obscur, fantasmé et précaire : l’art. Elle entame une formation en arts visuels (École Nationale Supérieure de Paris-Cergy), et se tourne ensuite vers l’art vivant en 2019. Son parcours de formation est le fruit de nombreuses rencontres avec des metteur·euses en scène, auteur·ices et performeur·euses, en théâtre, clown et écriture, notamment : Alexandre Del Perugia, Hervé Langlois, la formation professionnelle « L’acteur au présent » à Toulouse, « Performer l’intime » de Rebecca Chaillon, Nadège Prugnard. Elle concentre son travail sur le rapport au présent et au dire, avec un point de vue résolument féministe sur les sujets abordés.

Elle participe à la direction artistique des compagnies Sur le pavé (Marseille) et T’as un truc entre les dents (Occitanie), dont les créations (Tarpin de toi, Frontales, io, Uppercut BB) défendent un théâtre de l’intime, engagé et collectif.

➝ Compagnie T’as un truc entre les dents.

Parce qu’il vaut mieux un petit moment de sincérité qu’un long de moment de gêne, nous on n’est pas du genre à te laisser avec une feuille de salade coincée entre les dents.

Pour résumer on préfère la vérité qui bouscule au non-dit qui pourrit.

La compagnie T’as un truc entre les dents propose des spectacles de théâtre et performance, en salle et dans les espaces non dédiés, à destination de tous·tes. Avec un attachement fort à la lutte féministe, elle cherche à faire entendre les voix de nos intimes, à donner à voir ce qui se joue en-dessous. Derrière les portes des maisons, à l’intérieur des têtes, sous la peau, dans une famille… C’est quoi le silence ? Vraiment vraiment, pas pour de faux ou pour faire joli. C’est quoi la colère ? Vraiment vraiment. Ca fait quoi dans les corps de se taire ? Vraiment ça fait quoi ?

L’écriture émerge à partir des savoirs chauds – témoignages, discussions, enquêtes qui révèlent des connaissances approfondies grâce à des vécus – et froids – notre recherche théorique est essentiellement orientée vers la sociologie, la philosophie et la psychologie.

Nous élaborons le texte grâce à l’écriture au plateau, et les dispositifs scéniques s’inventent en fonction. Le langage se veut tantôt naturel et accessible, tantôt poétique et sensible.
Le corps en mouvement, figé, enfermé, épuisé, y constitue un endroit d’exploration important pour donner de la puissance au propos.

Une grande attention est portée à l’image, aux qualités plastiques d’une scénographie et à la musique. Elles ne constituent pas un simple appui à la parole, mais une parole en tant que telle.

Pour finir, T’as un truc entre les dents, c’est une aventure à pleins de bras, entre l’Ariège, Toulouse et Marseille, où se rencontrent beaucoup de personnes qui ont le feu au ventre, des envies plein la tête et de grandes idées à défendre.